EXPLORER #2 :
UN SCHÉMA DIRECTEUR D'AMÉNAGEMENT POUR LA BAIGNADE
Type de bain
Zone de baignade
Lieu
Europe
Année
2025
À propos
La baignade en Seine s’impose aujourd’hui comme un symbole fort de l’adaptation climatique et la reconquête des berges de Paris. Pourtant, son émergence s’inscrit dans un contexte institutionnel complexe, structuré par une série de règles contraignantes édictées par les différents acteurs de la gouvernance de l’Axe Seine francilien : la Préfecture d’Île-de-France, Voies Navigables de France et HAROPA Port. Trois grands principes de précaution régissent et encadrent strictement les usages du fleuve et conditionnent l’implantation des nouveaux sites de baignade : interdiction de la cohabitation simultanée entre navigation et baignade, retrait obligatoire de 5 mètres par rapport au chenal fluvial, et aucun impact quantitatif sur les volumes transportés par la navigation de fret.
Une enquête de terrain menée en 2024 montre combien ces contraintes ont structuré dès l’origine l’architecture et le fonctionnement des sites pilotes. L’ingénierie navale et les conflits pour le partage fluvial ont dicté les débats : les expertises mobilisées se sont concentrées sur l’adaptation aux conditions de navigation, plus que sur les attentes ou les pratiques attendues des usagers ; et les cycles de concertation menés par la ville de Paris ont quasi-exclusivement mobilisé les acteurs du transport fluvial et les gestionnaires administratifs. Le débat sur les horaires d’ouverture l’illustre : sur le site du Bras Marie, la baignade ne pourrait être autorisée… seulement de 8h à 12h. En plein été, sur une berge touristique très fréquentée, un espace de baignade très attractif sera donc aménagé mais inaccessible durant les heures de forte chaleur.
Dès lors, la baignade devient une variable d’ajustement dans un espace contraint, non une fonction pleinement assumée de l’espace fluvial.
C’est pourquoi un changement d’échelle s’impose : comment prévoir l’héritage de la baignade à Paris pour que cette dernière puisse s’inscrire durablement dans le fonctionnement du premier fleuve de France ? Nous explorons ici le besoin de se tourner vers une véritable stratégie de planification métropolitaine à long terme de la baignade. Si les contraintes s’avèrent être trop fortes au cœur de Paris, d’autres lieux offrent de nombreuses opportunités d’expérimentation et de diversification. Le bassin de la Villette et le canal Saint-Martin accueillent déjà des sites de baignade adaptés à des publics variés. À l’échelle du Grand Paris, les bras morts de la Marne ou de la Seine, aujourd’hui sous-utilisés, constituent des lieux protégés de la navigation qui permettraient de passer outre ces conflits d’usage. C’est l’exemple du site de baignade de Grenelle où l’Île aux Cygnes coupe la Seine en deux, pouvant sanctuariser un des bras et s’affirmer comme une centralité récréative d’envergure. À Joinville-le-Pont, Maisons-Alfort ou Neuilly-sur-Marne, la baignade urbaine devient un levier de revitalisation d’anciens ports plaisanciers en déprise. À Lyon, le site de baignade ne sera pas implantée dans le Rhône, trop contraint par la navigation, mais dans une darse protégée du quartier de Confluence, permettant un aménagement plus léger et une baignade plus libre.
Copenhague constitue ainsi un cas d’étude de référence, où la baignade dans son port est devenue en quelques années l’activité estivale phare de la capitale. La ville compte désormais quatorze sites officiels de baignade d’une grande variété architecturale : bassins fermés, plages ouvertes sur le port, intégrées aux quais, etc. Mais elle accueille aussi tout un réseau de baignades informelles, fruits d’une appropriation spontanée et libres des espaces portuaires. L’un des enseignements centraux de cette recherche est clair : un bain seul à la typologie architecturale unique ne suffit jamais. Chacun des bains portuaires officiels avec des bassins fermés s’accompagne systématiquement de zones de baignade informelles à proximité. L’analyse montre que ces situations de baignade informelles sont une conséquence des choix d’aménagement : elles reflètent une demande sociale non satisfaite par l’offre disponible. Ainsi, certaines catégories d’usagers recherchent des expériences variées, entre détente, spontanéité, sport et sociabilité, qu’un bain fermé ne permet pas. Face à cette réalité de massification et de diversifications des usages de la baignade, la réponse de l’offre publique ne peut être uniforme. La solution trouvée par la ville de Copenhague est donc de proposer, dans un même secteur, une pluralité d’infrastructures à la typologie variée selon le tissu urbain et les usages projetés. Dans des zones très fréquentées, une grande plage urbaine permettra de canaliser les pratiques informelles et éviter une baignade anarchique. À l’inverse, dans des quartiers résidentiels ou familiaux, un bassin fermé, plus encadré, répondra à des attentes familiales et sportives ritualisées.
Or, à ce jour, l’offre de baignade en Île-de-France qui se dessine semble déjà être déséquilibrée : la quasi-totalité des projets lancés sur la Marne ou sur la Seine repose sur des bassins fermés. Si cette option semble privilégiée par les collectivités pour des impératifs de sécurité, elle exclut d’office certains profils d’utilisateurs et accéléra paradoxalement la diffusion de baignades informelles non encadrées, à défaut de solutions adaptées. Il semble nécessaire de sortir de l’unicité typologique et diversifier dès à présent l’offre de baignade.
Plusieurs leviers existent : intégrer à la réflexion les bras morts et les îles de la Seine et de la Marne, les ports de plaisance, les darses, les canaux parisiens – autant de sites situés hors des grands flux de navigation où des aménagements plus légers et festifs pourraient voir le jour : non seulement la baignade mais aussi des saunas flottants, des bases nautiques ou des espaces de restauration au bord de l’eau.
Studio Baignade Urbaine accompagne dans ce cadre la ville belge de Mechelen, en périphérie bruxelloise, pour l'aménagement d'un site de baignade hybride : un bassin fermé combiné à une zone ouverte sur le canal délimitée par des bouées, accueillant à la fois les familles et des usages plus libres.
Ces exemples nous invitent donc penser l’aménagement de la baignade non plus comme un objet isolé, mais comme une composante d’une stratégie territoriale cohérente, fondée sur la diversité des formes et des usages. Car les conflits, s’ils ont rythmé la naissance du projet parisien de baignade en Seine, ont aussi suscité de nombreuses innovations : un dialogue renforcé entre tous les acteurs, une gouvernance renouvelée et plus adaptée, de nouveaux règlements de navigation, des horaires différenciés, un partage d’usages ajusté. L’ouverture de la Seine à la baignade ne remet pas en cause le rôle de Paris comme premier port fluvial de passagers au monde, elle cohabite avec la montée en puissance du transport fluvial.
Mais à présent, une étape supplémentaire s’impose. Si les villes de l’axe Seine ont fait le choix des Swimmable Cities, il leur faut désormais se doter d’une vision prospective stratégique partagée et métropolitaine. Il s’agit de conserver l’héritage présent de la Seine en anticipant son héritage futur.