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TRAVAUX DE THÈSE

LA BAIGNADE URBAINE À COPENHAGUE

  • Université de Bordeaux (Laboratoire LACES)

  • École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux (Laboratoire PAVE)

Formidable succès populaire, la baignade urbaine faisait partie à l'origine d’une stratégie plus large de la capitale danoise pour refaire de son port une centralité urbaine en offrant un cadre de vie apaisé proche de la nature à sa population. Cette volonté de retrouver un imaginaire de nature en ville s’accompagne d'une utilisation récréative de l’eau : tourisme, villégiature, plaisance, balade, promenade, kayak, paddle et bien sûr, baignade.

 

Cependant, depuis 2002 et l’ouverture du premier bain portuaire, l’activité de « se baigner dans la ville » s’est diversifiée, renouvelant les possibilités d’activités en bas de son logement, réinventant la place et le rôle du corps dans l’interaction avec les autres et créant par là-même les conditions de création de nouveaux lieux du quotidien. En 2023, il existe à Copenhague 14 bains portuaires officiels aux architectures variées, faisant de cette ville un terrain privilégié pour enquêter sur ce que signifie « se baigner dans la ville ».

 

​Si dans son expression matérielle, le bain portuaire est le support de pratiques corporelles s’affiliant au loisir ou à l’entretien, il ne semble pas que cet espace ait été imaginé seulement pour satisfaire le besoin d’oisiveté estivale et de récréation des habitants. Le bain portuaire est devenu le lieu où les habitants peuvent se rassembler, se laisser aller à la contemplation et à l’exaltation des sens, expérimenter la co-présence et s’adonner à diverses pratiques habitantes en lien avec le mode de vie du corps actif scandinave.

 

Les bains portuaires de Copenhague se révèlent aujourd’hui sous de multiples formes architecturales. Certains sont aménagés comme des « plages urbaines » : lieux de bain, ils sont aussi l’endroit où l’on se promène, on retrouve ses amis, on peut se reposer, bronzer ou exposer son corps à l’autre. D’autres sont pensés comme des lieux à destination d’un public recherchant la sécurité et la présence d’un imaginaire sportif, où l’usage est plus circonscrit à l’image de leur architecture rigide reprenant les codes d’une piscine traditionnelle.

 

Enfin, avec la démocratisation et la massification de l’accès à l’eau, l’étude des bains portuaires interroge l’appropriation des quais comme lieu de vie par le sujet-habitant. Certaines personnes veulent pouvoir se baigner où elles le souhaitent, quitte à le faire en bas de leur logement là où la baignade n’est pas autorisée. Jouer avec la limite règlementaire des espaces de baignade peut alors devenir l’enjeu de la pratique pour le résident dans sa quête de liberté pour s’approprier la ville. 

APPROCHE

La baignade urbaine à Copenhague est le reflet d’un mouvement profond de renouvellement de la ville et de régénération de ses espaces portuaires. Si elle fut d’abord une des pratiques récréatives qui a fait évoluer l’image de la capitale danoise aux yeux du monde, elle s’est aujourd’hui immiscée au plus près des habitants jusqu’à modifier leur manière d’utiliser la ville. Ce terrain d’enquête ne cesse de nous donner à voir les nouvelles façons dont les citadins s’approprient leur environnement naturel proche.

 

Dans ce nouveau rapport à la ville, l’image du corps se renforce et s’affiche dans l’espace urbain. Les espaces au bord de l’eau permettent aux citadins de se relâcher et d’exposer leurs corps au soleil, au sol, au vent et à l’altérité. Se baigner dans la ville remplit alors des fonctions d’identification à une même culture nordique qui s’exprime notamment à travers un rapport à la nudité décomplexé. Nous pensons que c’est par cette force identificatoire que le bain s’intronise comme lieu : le bain portuaire existe en tant que surface délimitée et discrétisée spatialement par ses frontières et son architecture caractéristique. Cependant, il arrive aussi qu’il n’existe parfois que par les pratiques de baignade des individus : c’est alors par la représentation d’un imaginaire balnéaire récréatif et hédonique que le bain se met à exister. Par-là, il est discrétisable.

 

Le bain s’affirme comme entité propre, à la fois spatialement et socialement. Il est le lieu d’interaction sociale, d’expression identitaire et d’appartenance à un même monde, celui d’un même mode de vie danois du corps actif. Le lieu apparaît alors comme cet espace investi, qualifié, produit par la pratique habitante quotidienne qui est faite d’activités, d’habitudes, de mémoire et de symboles. Les bains portuaires ne seraient donc pas des équipements sportifs dans leur définition première, mais des espaces ouverts où se déroule une vie quotidienne urbaine. Ils démontreraient aussi que le corps actif danois n’est pas seulement sportif et centré sur l’activité physique, mais qu’il investit les bains pour son bien-être, devenir sociable, s’exposer et se montrer.

 

Les bains portuaires sont la vitrine de ce que veut dire « habiter » Copenhague en 2023. Lieux de fête en été, lieux de vie de quartier en hiver, ils démultiplient les possibilités de s’approprier ces espaces au bord de l’eau. Cependant, cette appropriation donne lieu à des dérives et des conflits d’usage, surtout en été, que la ville de Copenhague s’efforce à rectifier par différents moyens.

 

Notre problématique générale de recherche renvoie dos à dos les bains portuaires (en tant qu’élément urbain spatialisé) et l’activité de baignade (en tant que pratique urbaine) : quand les premiers incarnent de nouveaux modes d’habiter la ville, la seconde interroge les règles actuelles de gouvernance du port de Copenhague.

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